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Le b.a.-ba des transferts monétaires : tout ce que vous devez savoir

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Préférences de modalité : Des choix mal informés nous mènent-ils dans la mauvaise direction ?

Ground Truth Solutions, dans le cadre de son projet « Cash Barometer », relaie les opinions des personnes recevant de l’aide sous forme d’espèces et de coupons depuis 2019. Le Cash Barometer est un mécanisme de redevabilité indépendant qui combine des enquêtes face à face standardisées avec des approches qualitatives pour permettre aux personnes ayant reçu des transferts monétaires de fournir un retour d’information et de participer à la prise de décision.

21 mars 2023 — De Ground Truth Solutions

Le terme « transferts monétaires » est maladroit. Si l’aide en espèces peut être dépensée pour n’importe quoi, les retours formulés par les communautés montrent qu’en termes de choix, de dignité et d’autonomisation les coupons sont beaucoup plus proches de l’aide en nature. Les signataires du « Grand Bargain » ont convenu d’accroître l’utilisation de l’aide en espèces et de « créer une base de données afin d’évaluer les coûts, les avantages, les impacts et les risques des transferts en espèces par rapport à l’aide en nature ou en coupons[1] ». Plusieurs documents de stratégie bailleurs indiquent une nette préférence pour les transferts en espèces sans restriction [2]. Alors pourquoi tant de personnes dans les régions en crise déclarent-elles préférer les coupons ?

Les personnes recevant des coupons signalent un manque d’autonomie, des inefficacités et des pratiques abusives.

Depuis plusieurs années, GTS écoute le récit des personnes recevant des coupons et a identifié des thèmes récurrents. Lorsque des personnes reçoivent des coupons alimentaires, elles ont tendance à ne pas les utiliser uniquement pour acheter de la nourriture, mais plutôt à les vendre pour acheter d’autres produits dont elles ont besoin. Cette pratique entraîne souvent une dépréciation considérable de la valeur des coupons[3]. Les femmes, en particulier, se voient contraintes de vendre leurs coupons à un prix bien inférieur à leur valeur réelle, car les vendeurs profitent du déséquilibre de pouvoir et exploitent leur besoin en argent liquide. Ainsi, les coupons alimentaires contribuent souvent au gaspillage des ressources, profitant davantage aux intermédiaires qu’aux personnes dans le besoin.

Souvent, les vendeurs disent des choses impolies comme : « Si vous n’êtes pas satisfait, rentrez chez vous. Vous ne pouvez pas utiliser votre coupon ailleurs qu’ici ». Ce genre de mauvais traitement nous pousse à vendre nos coupons à un prix très bas, parfois la moitié de leur valeur réelle. Il vaut mieux accepter moins et passer à autre chose, plutôt que de retourner dans les magasins et se faire manquer de respect.
– Homme de 32 ans, PDI, Paoua, République centrafricaine

Il est bien documenté que les personnes recevant des coupons rencontrent des difficultés aux points de distribution[4]. Au Nigeria, certaines personnes signalent que les vendeurs réduisent leur portion de nourriture en utilisant des tasses à mesurer plus petites. En République centrafricaine, les gens mentionnent qu’ils reçoivent des produits de mauvaise qualité en échange de leurs coupons.

Certains vendeurs ne nous permettent pas de choisir les articles que nous préférons, d’autres nous crient dessus.
– Homme de 70 ans, retourné, État de Yobe, Nigeria.

Leurs bols de mesure pour les céréales sont plus petits que les bols normaux du marché.
– Femme de 42 ans, communauté hôte, État de Borno, Nigeria.

Si les coupons sont si problématiques, pourquoi les gens affirment-ils les préférer ?

Lorsque nous interrogeons les personnes affectées sur leurs préférences en matière de modalités, comme nos partenaires nous le demandent, un grand nombre d’entre elles continuent d’indiquer préférer les coupons à l’aide en espèces. Sur plus de cinq mille enquêtes menées au Nigeria, en Somalie et en République centrafricaine l’année dernière, nous avons identifié trois raisons pour lesquelles les préférences déclarées peuvent parfois contredire les expériences réelles des personnes affectées, et pourquoi le simple fait de demander aux gens le type d’aide qu’ils préfèrent recevoir ne fournit pas toujours des données précises :

  1. Le biais de familiarité – les gens préfèrent ce qu’ils connaissent.

Au Nigeria, où environ 90 % des transferts monétaires sont fournis sous forme de coupons[5], 47 % des personnes interrogées ont déclaré préférer recevoir des coupons, tandis que 34 % préfèrent recevoir un mélange de coupons et de transferts d’espèces. Seulement 19% disent préférer les transferts d’espèces.

En République centrafricaine, nous constatons également une nette tendance des personnes à exprimer une préférence pour la modalité qu’elles reçoivent actuellement. Près de la moitié (44 %) des personnes recevant des coupons déclarent les préférer, même si la quasi-totalité (96 %) des personnes recevant de l’aide en espèces penchent pour cette modalité. En réalité, 97 % des personnes interrogées en RCA et 92 % des personnes interrogées au Nigeria qui ont exprimé une préférence pour les coupons en reçoivent actuellement.

L’argument selon lequel les gens ont tendance à préférer ce qu’ils connaissent n’est pas propre à l’aide humanitaire ; l’effet de « simple exposition » est bien connu en psychologie et dans le comportement des consommateurs. Certaines personnes peuvent craindre la confusion ou les retards qu’un changement de mécanisme pourrait entraîner. D’autres peuvent simplement ne pas être informées des autres options disponibles ou des avantages que pourraient offrir d’autres modalités.

Heureusement, la familiarité peut se construire grâce à des investissements dans les nouvelles technologies et une communication solide, comme on l’a vu en Somalie. Après de lourds investissements, en particulier dans les technologies d’argent mobile, les transferts d’espèces sont en plein essor. À mesure que les gens deviennent familiers avec le système, l’aide en espèces devient de plus en plus souvent la préférence évidente. 96 % des personnes recevant des transferts d’espèces choisiraient à nouveau cette modalité, et même 77 % des personnes recevant des coupons ont exprimé une préférence pour les transferts d’espèces.

  1. La difficulté de comparer des alternatives hypothétiques

Lorsque nous demandons aux gens comment ils aimeraient recevoir de l’aide lors d’une enquête rapide, nous leur demandons d’imaginer un scénario futur et de comparer leur bien-être hypothétique, souvent sans donner de détails sur ce à quoi recevoir de l’aide sous cette forme pourrait ressembler concrètement. Certains pourraient trouver l’idée de recevoir de l’assistance en nature plus pratique, mais ils pourraient négliger de considérer le fait que le lieu de distribution pourrait être loin de chez eux, ou qu’ils pourraient ne pas recevoir la qualité, la quantité ou le type de biens dont ils ont besoin. Les préférences changent en fonction des saisons et selon les autres aides reçues, ce qui rend les comparaisons encore plus difficiles.

[Les organisations humanitaires] devraient distribuer à la fois de la nourriture et de l’assistance en espèces, afin que nous puissions acheter du savon, du bois, de l’eau et bien d’autres choses avec l’argent. De cette façon, les transferts monétaires nous serviraient encore plus qu’actuellement
– Femme ; retournée, État de Borno, Nigeria.

Les problèmes avec certains modes ou mécanismes de distribution peuvent facilement être confondus avec des problèmes liés à la mise en œuvre d’une intervention. Il peut y avoir des cas où les perceptions négatives d’un mécanisme de distribution sont dues à des problèmes techniques ou à un manque d’informations sur la manière d’utiliser le système. Si les gens demandent certains biens en nature, est-ce parce que ce mode de distribution convient réellement mieux à leur situation, ou est-ce parce que la mise en œuvre de transferts monétaires a été désorganisée et/ou a été peu fiable dans le passé ?

Compter uniquement sur des données quantitatives pour comprendre les préférences de modalités peut être risqué car souvent, cela ne permet pas d’expliquer pourquoi les personnes ont des préférences particulières. Il est alors difficile pour les humanitaires de savoir avec certitude ce qu’ils devraient corriger.

  1. Le biais de courtoisie – le faux ami

Le dernier obstacle afin d’obtenir des opinions honnêtes et informées est culturel : beaucoup de personnes estiment qu’il n’est simplement pas approprié ni poli de critiquer les humanitaires. D’autres sont reconnaissants pour l’aide qu’ils reçoivent et préfèrent éviter de suggérer des changements par crainte que cela entraîne des conséquences négatives pour eux. Ce biais de courtoisie renforce ainsi le statu quo.

En raison du dicton populaire « on ne mord pas la main qui nous nourrit », nous n’avons aucun commentaire négatif à formuler sur cette aide si ce n’est de dire que « nous sommes reconnaissants.
– Femme, retournée, État de Yobe, Nigeria

Je sais que cela peut sembler inapproprié pour une personne qui reçoit de l’aide de la critiquer, mais puisque vous insistez pour que nous nous exprimions, l’aide ne répond pas vraiment à nos besoins les plus importants.
– Femme, communauté hôte, État de Yobe, Nigeria

Il y a le sentiment que si quelqu’un vous donne quelque chose, vous ne pouvez que dire merci, vous n’êtes pas censé en parler.
– Homme de 38 ans, Puntland, Somalie

Nous constatons que les préférences que les gens expriment ne correspondent pas toujours à leurs besoins ou souhaits réels. Au Nigeria, où seulement 19 % des personnes interrogées ont déclaré préférer recevoir de l’aide sous forme d’argent sans restriction, 60 % ont signalé que l’argent était leur plus grand besoin non satisfait.

Le biais de courtoisie est peut-être le plus difficile à surmonter, et démontre l’importance de communiquer avec les gens sur leur droit de participer à l’aide qui les concerne, y compris le droit de critiquer. Cela montre également l’importance de chercher à comprendre les expériences des personnes en matière d’intervention, plutôt que de simplement poser des questions sur leurs satisfactions ou leurs préférences. Les organisations indépendantes ont un rôle crucial à jouer pour garantir une vision holistique de la réponse, qui peut servir de base à la prise de décision.

Les choix ne sont pas des choix s’ils ne sont pas informés.

Certains pourraient se demander pourquoi nous nous préoccupons de cette question ou pourquoi nous considérons les préférences pour les coupons problématiques. En tant qu’organisation qui cherche à promouvoir les points de vue des personnes affectées, ne devrions-nous pas simplement préconiser l’utilisation de coupons si les gens les préfèrent ?

Si une préférence pour les coupons a été une décision informée, dans un contexte où les gens sont conscients des alternatives et se sentent habilités à exprimer leurs opinions, les humanitaires doivent certainement en tenir compte. Il est vital d’adapter la programmation de l’aide aux préférences des gens. Cependant, si ce choix est en contradiction avec d’autres données, nous devons y réfléchir à deux fois. Les préférences qui sont imposés, intentionnellement ou non, ou données par besoin de « gratitude », ne représentent pas véritablement le souhait des personnes concernées. De même, les facteurs contextuels rendent les préférences plus évidentes à certains endroits que d’autres. Certains contextes, comme la Somalie, sont des terrains fertiles pour les transferts d’espèces, facilité par la prolifération de fournisseurs de services financiers qui stimulent le marché. Bien que la République centrafricaine et certaines régions du Nigeria ne disposent pas des mêmes conditions, cela ne veut pas dire que toutes les opportunités liées à l’aide en espèces ont été épuisées. Prendre des décisions politiques fondées sur des préférences qui ne sont pas informées ou basées sur des services limités ne respecte pas la dignité des personnes affectées.

Pour assurer que l’action humanitaire soit guidée par les opinions objectives des personnes affectées, plusieurs niveaux de responsabilité sont en jeu. Les humanitaires doivent être conscients des biais des populations et s’efforcer de les reconnaître et de les éliminer lorsqu’ils collectent des informations. Souvent, cela implique la réalisation d’une recherche qualitative, un engagement à long terme et la construction de relations de confiance avec les communautés. Ainsi, il n’est pas suffisant de rassurer les personnes avant une enquête en leur disant que leurs critiques n’auront pas de conséquences négatives sur l’aide qui leur est fournie. De même, les bailleurs et les organisations humanitaires devraient favoriser les transferts inconditionnels, en privilégiant l’assistance en espèces autant que possible et en étant critiques envers les programmes de coupons qui prétendent refléter les préférences des populations. Ce n’est qu’en examinant les biais des populations et en analysant les données de manière holistique que nous pouvons mieux comprendre les préférences et adapter les programmes en conséquence.

 

[1]  Inter-Agency Standing Committee. Mai 2016. “The Grand Bargain – A Shared Commitment to Better Serve People In Need” .

[2] CALP. Décembre 2022. “Where next? The evolving landscape of cash and voucher policies”.

[3] CALP. Septembre 2021. “Being on the receiving end: Why vouchers lack dignity and are bad value”.

[4] Ibid.

[5] OCHA. Août 2022. “North-East Nigeria: Cash and Voucher Assistance (April – June 2022)”.

 

 

Photo: KC Nwakalor/GTS

 

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