Mise à l’échelle des transferts monétaires avec ECHO : principes communs d’utilisation des transferts monétaires à usages multiples
Présentation générale
Le contexte humanitaire international constitue un environnement complexe pour les bailleurs de fonds. En effet, les crises sont de plus en plus nombreuses et importantes et revêtent de nouvelles formes. Le déplacement massif de populations, ainsi que le nombre sans précédent de crises dans l’ensemble du système et leur nature prolongée et souvent passée sous silence, se traduisent par des situations extrêmement tragiques et difficiles.
L’Union européenne s’engage à répondre aux crises humanitaires le plus efficacement possible en adaptant son intervention au contexte. Une intervention répondant aux besoins multisectoriels est de plus en plus nécessaire et les modalités de mise en œuvre peuvent faciliter ou entraver cette aide. Une intervention monétaire multisectorielle à usages multiples peut fournir une aide multisectorielle et contribuer à répondre aux besoins essentiels des victimes d’une crise, et ce quels qu’ils soient, de manière flexible et en garantissant le respect de leur dignité. Toutefois, fournir une aide selon ces modalités remet en cause les pratiques actuelles. Cela requiert en effet une coordination et une coopération inter-organisation avec différents partenaires, un ciblage renforcé et harmonisé, des indicateurs solides et un système de suivi et d’évaluation.
L’Union européenne et certains de ses États membres sont à l’avant-garde en matière transferts monétaires lors d’interventions humanitaires. En juin 2014, la DG ECHO a convoqué une réunion des bailleurs de fonds européens à Bruxelles pour discuter des approches en matière de transferts monétaires à usages multiples d’un point de vue opérationnel mais aussi stratégique. L’objectif de cette réunion était double. Il s’agissait d’une part de se livrer à une réflexion sur la façon dont les transferts monétaires pourraient être utilisés au Liban pour faire face à l’afflux massif de réfugiés au lendemain de la crise régionale syrienne. D’autre part, il s’agissait de considérer les transferts monétaires à travers le prisme plus large des politiques de développement.
Un des résultats de l’atelier du mois de juin fut l’accord relatif à l’élaboration collaborative d’un document de réflexion exposant les principes communs phares. Entre septembre 2014 et mars 2015, les États membres de l’Union européenne, la Suisse et la Norvège, nos collègues d’ECHO, avec la contribution de nombreux acteurs humanitaires (ONG, Nations unies, organisations internationales et autres bailleurs de fonds) ont établi un ensemble de principes qui devraient s’appliquer à l’utilisation des transferts monétaires. Ces principes ont pour objectif d’orienter les bailleurs de fonds et les partenaires humanitaires à faire le meilleur usage possible de l’aide monétaire à usages multiples.
Résumé des principes communs
Les principes communs d’utilisation des transferts monétaires à usages multiples pour répondre aux besoins humanitaires ont été mis au point pour orienter les bailleurs de fonds et les partenaires humanitaires à faire le meilleur usage possible de l’aide à usages multiples. Ils soulignent son efficacité et rappellent les principaux enjeux tels que la nécessité de faire respecter les principes humanitaires et de garantir la redevabilité. Ils reconnaissent l’importance d’adopter des solutions spécifiques au contexte et la nécessité de choisir les modalités de mise en œuvre mieux adaptées. Ces principes introduisent la notion d’intervention humanitaire multisectorielle pour répondre aux besoins essentiels des bénéficiaires de manière flexible et dans le respect de leur dignité et leurs choix. Ils relèvent les implications engendrées par une telle approche pour la conception des programmes qui doit s’accompagner d’une coordination accrue des acteurs et d’un ciblage renforcé. Les principes font également le lien entre le renforcement de la résilience à plus long terme et les systèmes nationaux de protection sociale.
Encadré 1 – Les 10 principes
§ 1. Les interventions en réponse à une crise humanitaire doivent être efficaces, répondre aux besoins les plus urgents des victimes et représenter le meilleur rapport coût-efficacité.
§ 2. Les interventions humanitaires doivent répondre aux besoins multisectoriels et essentiels, et être évaluées en tenant compte des différents secteurs. § 3. L’aide humanitaire doit être fournie de façon à renforcer la protection et à garantir la sécurité, la dignité et les préférences des bénéficiaires. § 4. L’adoption d’approches innovantes afin de répondre aux besoins des bénéficiaires doit être encouragée. § 5. L’aide à usages multiples doit être envisagée d’emblée en même temps que les autres modalités de distribution de l’aide. Il faut toujours se poser la question suivante : « Pourquoi ne pas avoir recours aux transferts monétaires ? ». § 6.Il peut être nécessaire d’associer les modalités de transferts aux mécanismes de distribution de l’aide selon la nature et le contexte de la crise et de les utiliser à différentes étapes de la crise : leur utilisation combinée peut-être nécessaire à une réponse optimale. § 7. Une évaluation détaillée de la capacité des marchés et des services à répondre aux besoins humanitaires doit être menée dès le déclenchement d’une crise. Celle-ci devra être intégrée à l’évaluation générale et faire l’objet d’une évaluation et d’un suivi réguliers. § 8.Les organisations impliquées dans la réponse à une crise doivent établir d’emblée une structure de coordination et de gouvernance claire et intégrer l’évaluation, l’enregistrement, le ciblage et le suivi des bénéficiaires. § 9. Les liens avec les systèmes nationaux de protection sociale doivent être exploités dans la mesure du possible. § 10.Les aspects relatifs à la redevabilité requièrent l’utilisation d’indicateurs d’impact et de résultats solides, qui doivent être limités en nombre et qui combineront les indicateurs spécifiques et d’ensemble des organisations. |
Les conclusions du Conseil ont été adoptées en juin 2015 et représentent un accord politique pour les principes communs, ouvrant ainsi la voie à un travail de plaidoyer plus important auprès des bailleurs de fonds et des partenaires, ainsi que dans l’optique du Sommet humanitaire mondial.
En approuvant les principes communs, les États membres de l’Union européenne se sont concentrés sur la nature innovante des transferts monétaires à usage multiples et sur leur capacité à devenir encore plus efficaces. Ils ont considéré l’aide monétaire et les éléments mis en évidence dans les principes comme des éléments centraux des discussions du Sommet humanitaire mondial.
Dans ses conclusions, le Conseil reconnait qu’en dépit de faits probants toujours plus nombreux, les transferts monétaires ne représentent qu’une faible part de l’aide humanitaire. Par conséquent, il est possible d’accroitre l’utilisation des transferts monétaires à usages multiples dans le cadre d’interventions humanitaires, selon le contexte.
L’exemple des denrées alimentaires
Le passage de l’aide alimentaire à l’assistance alimentaire illustre bien l’évolution de la communauté internationale vis-à-vis de l’aide à usages multiples. Les principes s’appliquent à l’ensemble de l’assistance humanitaire mais utilisent l’assistance alimentaire comme point de départ, en raison de l’étendue de l’assistance alimentaire, de la perception par les bénéficiaires de l’assistance alimentaire comme permettant de répondre à d’autres besoins essentiels, et aux développement politiques qui ont modifié l’approche en matière d’assistance alimentaire et la façon de la mettre en œuvre.
Les transferts monétaires ont tout d’abord été envisagés comme un substitut aux denrées alimentaires et comme un moyen de s’en procurer. Pourtant, il est rapidement devenu évident que les transferts monétaires permettent de répondre aux besoins essentiels, qu’ils soient alimentaires ou non. L’argent distribué pour répondre aux besoins alimentaires des populations sera en réalité utilisé par les bénéficiaires pour répondre à leurs besoins les plus urgents, dont l’alimentation fera probablement partie. Le passage aux transferts monétaires a été soutenu par le développement de mécanismes de distribution fiables (télécommunication et autres technologies) qui ont renforcé l’efficacité et sécurisé la distribution de l’argent.
Ces principes devraient compléter les recommandations existantes relatives aux transferts monétaires et les prises de position politiques relatives aux domaines thématiques qui se prêtent à des approches à usages multiples. Les recommandations d’ECHO sur les transferts monétaires constituent un de ces outils. L’assistance alimentaire est peut-être le point de départ naturel mais l’idée de ces principes est justement de passer d’une intervention unidimensionnelle à une intervention qui utilise les outils à la disposition des bailleurs de fonds et des partenaires humanitaires pour répondre aux besoins essentiels, quels qu’ils soient. Dans le cadre de l’aide à usages multiples, les bailleurs de fonds et les partenaires doivent concevoir des interventions qui considèrent l’ensemble des besoins, et non les diviser par secteur, qui s’intègre bien à l’assistance humanitaire aujourd’hui mise en œuvre mais n’est pas pertinentes pour les bénéficiaires. L’aide à usages multiples accorde la priorité aux besoins des bénéficiaires en concevant une intervention adaptée aux bénéficiaires et non au système humanitaire.
Les principes encouragent les bailleurs de fonds à fournir à leurs partenaires un soutien qui réponde aux besoins des bénéficiaires de manière flexible et la plus adaptée possible. D’autre part, les pays bénéficiaires doivent s’assurer que les politiques des gouvernements sont neutres et que les impôts et taxes ne sont pas appliqués à l’aide reçue par les bénéficiaires, indépendamment des modalités de mise en œuvre.
Prochaines étapes
Nous encourageons les bailleurs de fonds et leurs partenaires à prendre ces principes en compte lors des phases de conception et de mise en œuvre des interventions en réponse aux crises humanitaires. Ces principes doivent aussi être utilisés pour rassurer les gouvernements hôtes et leur prouver que l’aide fournie selon ces modalités ne se contente pas d’être efficace mais qu’elle permet de répondre aux besoins de manière responsable tout en encourageant le relèvement et la résilience des bénéficiaires.
Ils ont été largement relayés. ECHO a en effet impliqué la communauté des bailleurs de fonds grâce à la Convention relative à l’assistance alimentaire[1], des déclarations politiques prononcées pendant des séances régulières du Conseil d’administration du Programme alimentaire mondial et des événements extraordinaires tels que des missions sur le terrain, des séminaires, ECOSOC, etc.
Les principes ont également été référencés dans le travail du panel de haut niveau sur les transferts monétaires dans le cadre d’interventions humanitaires qui a été convoqué par le DFID pour analyser le potentiel de transformation des transferts monétaires pour les interventions humanitaires et le système humanitaire (disponible mi-septembre). Le panel a examiné les obstacles associés à la mise à l’échelle de l’aide humanitaire et ses conséquences pour la structure d’aide humanitaire actuelle.
Ces principes sont envisagés comme une contribution concrète au Sommet humanitaire mondial : les interventions monétaires sont considérées par l’Union européenne comme innovantes et promouvant l’efficacité.
Dans la pratique, ECHO, grâce aux fonds du projet ERC, a apporté son soutien au PAM, au le CALP Network et au HCR en renforçant leurs capacités à mettre en œuvre ou appuyer des interventions monétaires. Si davantage de travail sur les transferts monétaires est nécessaire, l’Union européenne est prête à apporter son soutien.
Il n’est plus à démontrer que les transferts monétaires constituent un moyen de distribution efficace de l’aide, particulièrement à grande échelle. Les transferts monétaires permettent également de stimuler les marchés et les risques tels que leur détournement ou mauvaise utilisation, ou les répercussions potentielles au sein des ménages ne se sont pas traduits dans les faits. Les informations relatives à l’efficacité sont moins claires et certains résultats précis sont plus facilement atteints grâce à l’aide en nature ou aux coupons. Toutefois, la précaution reste de mise étant donné que les résultats et les répercussions sont difficiles à mesurer. Il existe déjà de nombreux faits probants et auxquels ECHO contribuera avec la publication, avant la fin de l’année, d’une évaluation des différentes modalités de transferts dans le cadre des actions d’aide humanitaire d’ECHO entre 2011 et 2014.
[1] Les membres sont l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Danemark, l’Union européenne, la Finlande, le Japon, le Luxembourg, la Fédération de Russie, la Slovénie, l’Espagne, la Suède, la Suisse et les États-Unis.
Image principale: Allan Gichigi/Oxfam